L’insaisissable discours, des mots et démo
" chaque mot [...] prononcé
rejoint des phrases, puis des paragraphes, des pages et des manifestes […]".
Grégory Charles (citant son père)
Cette citation est une façon très candide et claire de vulgariser une
idée développée par les spécialistes en analyse du discours, sous le concept
d’intertexte et d’interdiscours.
Je vais prendre cette même voie pour une meilleure visualisation du
discours par le large public. Je voudrai d’abord commencer par clarifier une
chose : le discours n’est pas le texte écrit, même s’il prend racine dans
le texte, il est ce qui est au-delà du texte.
Quand je pense à la confusion que nous faisons souvent entre texte et
discours, je pense encore à mon vieux professeur de sciences physiques qui nous
expliquait ce que les gens appellent
poids est en fait la masse (définie comme la quantité de matière). La masse se
mesure en grammes. Quant au poids, il
s’agit du rapport entre la masse (donc la quantité de matière) avec la
pesanteur (l’attraction de la terre) qui s’exerce sur un corps, le poids se
mesure en … Newton!!
Mon professeur avait été très sévère après ceci. Et quiconque faisait désormais la confusion
risquait un zéro pointé! Je ne comprenais pas sa contrariété, mais maintenant,
en spécialiste du discours, je ressens un peu son point de vue. Confondre le
poids et la masse ne va peut-être pas changer nos vies. Par contre, confondre
texte et discours peut avoir des conséquences pour un orateur.
Un petit exemple avec l’univers référentiel
Quand un locuteur prononce le mot amour,
il a tendance à penser que son auditeur entend le même mot que lui. Quel est
le rapport entre le mot amour et la
réalité (l’expérience) qui est désignée? Ce rapport est arbitraire (cf.
Saussure). Chaque auditeur entend le terme selon l’expérience qu’il en a. Ceux
qui ont toujours été heureux en amour entendront du positif, ceux qui ont
plutôt eu des déceptions ou des trahisons dans ce domaine, s’imagineront autre
chose.
Le discours est ce qui n’est pas
écrit mais ce qui est compris. Ce que je dis n’est pas ce que l’autre entend.
Le discours est l’ensemble des univers que le mot émis (le texte) réveille. Le
discours est la jonction entre celui qui
parle, ce dont il parle et celui à qui il parle. Si un homme politique donne, dans le caucus
de son parti, le même discours que devant
un auditoire diversifié, il rate certainement sa cible. Quand Tom Cruise
a été filmé à son insu prenant la parole et émettant des propos engagés dans une église de
scientologie, beaucoup de gens avait été choqués. C’est tout à fait normal. Il ne parlait pas à
tout le monde!
Un petit exemple en sport
Quand un individu non initié à la
société nord-américaine regarde un match de hockey entre les Canadiens contre
les Bruins, il voit des gens habillés chaudement qui glissent avec agilité sur
la glace et se disputent une rondelle grâce à des tiges au bout recourbé. Ce regard distant, de surface, peut être
assimilé au texte!
Mais le québécois qui a eu l’expérience
de la pratique du hockey et a vu une bonne partie des séries entre les
Canadiens et les Bruins, qui sait ce que chaque situation de jeu a pu donner
comme résultat dans ces rencontres-là, qui sait ce que chaque joueur a pu
réaliser dans telle ou telle position, ce que telle attitude a pu avoir comme
conséquence en situation d’infériorité numérique, celui-là vit dans
l’anticipation. Il regarde le match, mais il voit tous les scénarios des matchs
déjà disputés, ceux-ci viennent affluer dans son esprit. Il les revit et les revoit tous superposés. Ce regard avec plusieurs épaisseurs peut
être assimilé au discours. Ce qu’un technicien en biologie voit face à un texte
qui porte sur son domaine d’expertise, est tout à fait différent de celui du
novice.
Quand un jeune
fan de basketball s’achète un jersey de Michael Jordan, il ne voit pas seulement
un jersey. Mais au-delà de ce morceau de
tissus, il voit la carrière du célèbre basketteur de la Nba, il voit ses
exploits et tout ce que celui-ci incarnait et continue d’incarner dans le cadre
du sport.
Un petit exemple en politique
Quand Pierre Karl Péladeau lève le
poing fermé, en 2014, et proclamait « vive le Québec libre », il a
provoqué un tsunami politique. Le spectateur non averti pourrait s’étonner du
remous provoqué par ces mots? La classe politique a en tête la charge
historique de tels mots. Cette déclaration reprend celle faite à Montréal par
le général Charles de Gaule en 1967. Mais aussi et surtout, il fait échos à une
autre déclaration « vive la France libre » en 1940, toujours de De
Gaulle, qui avait réveillé et dopé la flamme patriotique des français, et a été
le slogan de la libération de la France lors de la 2eme guerre mondiale. Les
quatre mots prononcés par Pierre Karl Péladeau sont le texte, l’univers qui
entoure ces mots est le (inter) discours (avec ses implications par ricochet).
Vous avez
peut-être un jour entendu l’expression j’accuse.
Si vous cherchez cette expression sur internet, vous trouverez un grand nombre d’occurrences.
En effet, cette expression a été
utilisée dans divers contextes (textes politiques, pièces de théâtre, chansons,
affiches, œuvres d’art …). Ils reprennent le titre d’un des textes
journalistiques les plus influents et les plus mémorables de l’histoire de
l’humanité. Cette expression traine avec elle sa charge prolifique, politique
et polémique. J’accuse est le titre de
la lettre ouverte d’Émile Zola qui fit trembler une république entière!
Dalla Malé Fofana PhD
Chargé de cours
PhD. Études fr., Linguistique
et Communication,
M. Sciences du langage, langues secondes
Université de Sherbrooke ;
Bishop’s University
fofan002@gmail.com
http://dallamalefofana.blogspot.ca/
Commentaires
Publier un commentaire